« Bienvenue, je suis votre assistant virtuel pour vous orienter et vous informer sur les troubles cognitifs liés au cancer. Comment puis-je vous aider aujourd’hui ? » Incarné par un petit bot avec des mains en guise de lunettes, Cogitoscope est là pour « soutenir votre pensée après la chimio ». Cet agent conversationnel, disponible gratuitement en ligne, répond aux questions sur les troubles cognitifs qui peuvent toucher les patients atteints de cancer.
Les troubles cognitifs, qu’est-ce que c’est ? Ce sont des troubles qui peuvent affecter la mémoire, le langage, la capacité à comprendre et à s’exprimer, à s’organiser ou à se repérer dans le temps par exemple.
Une problématique encore taboue
Le projet Cogistoscope part donc d’abord d’un constat : de nombreux patients se plaignent de troubles cognitifs pendant et après un cancer. Appelés « brouillard cognitif » ou CRCI (cancer related cognitive impairment), ces derniers concerneraient jusqu’à trois-quarts des patients.
« Ce qu’on va retrouver le plus au décours (déclin de la maladie, NDLR) d’un cancer, ce sont des difficultés pour trouver ses mots ou des phénomènes d’effet porte (doorway effect), quand on oublie ce qu’on est venu faire, lorsque l’on change de pièce. Pour les plus jeunes qui reprennent le travail, ils décrivent aussi souvent des difficultés à pouvoir faire des doubles tâches comme avant ou passer d’une tache à une autre », détaille le Docteure Laurence Havé, médecin de médecine physique et de réadaptation et co-porteuse du projet.
« Un handicap invisible », présent pendant les traitements, mais qui persiste aussi après. En interrogeant les patients concernés, le Dre Laurence Havé s’aperçoit également que ces derniers ne se sentent pas forcément écoutés sur ce sujet. « C’est un sujet tabou qui est encore peu abordé en oncologie et ce n’est pas forcément la propriété pendant la maladie. Pourtant, même si ce sont des troubles qui sont souvent évalués comme « subtils » lors des tests neuropsychologiques, le retentissement est important et souvent invalidant pour les patients », souligne le Dre Havé.
Cela génère de l’anxiété, altère leur confiance en eux et leur estime de soi, ce qui rend plus difficile la reprise du cours de la vie, notamment sur les plans familial, social et professionnel, etc.
Dre Laurence Havé, co-porteuse du projet Cogitoscope
Avec l’augmentation des taux de cancer et notamment chez les jeunes, porter cette problématique est donc d’autant plus important.
La rencontre de différents univers
Alors comment répondre à ce besoin d’accompagnement des patients ? « Nous avons constaté que de fournir de l’information aux personnes concernées permettait déjà une amélioration. Mais comme il est impossible de prendre en charge tout le monde, l’agent conversationnel s’est rapidement imposé comme une bonne idée à développer », relate le Dre Havé. Une idée qui va pouvoir se concrétiser grâce à l’appel à projets PAIR (voir par ailleurs) qui distingue en 2023 Cogistoscope et lui permet d’obtenir un financement.
Pour développer cette idée de départ, c’est une équipe pluridisciplinaire qui se met en place et porte ce projet, fruit d’une collaboration réussie entre des mondes différents. Pour la partie médicale, on retrouve ainsi le Dre Laurence Havé et le Professeure Sophie Jacquin-Courtois, cheffe du service de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital Henry Gabrielle, pour la partie recherche Karen Reilly, chercheure au sein de l'Équipe Trajectoire du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon (CRNL), et Laurie Panse, comme patiente partenaire.
Sur le plan technique, c’est Lydie Catalano, de la société IA Médical qui a assuré la réalisation du projet, forte de l’expérience acquise avec la création des bots Alix et Cathy concernant la maladie d’Alzheimer et la lutte contre le harcèlement scolaire.
C’était un gros challenge, car au départ, on vient d’univers différents et les éléments de langage ne sont pas les mêmes, mais nous avons réussi à faire un pas vers les autres, à travailler ensemble et mettre en commun les compétences de chacune. C’est cette synergie qui fait la réussite du projet.
Dre Laurence Havé, co-porteuse du projet Cogistoscope
L’implication des patients a aussi été clé : la méthodologie des focus group, qui ont intégré une douzaine de patients experts, conduits par Laurie Panse et Karen Reilly, a permis de construire l’agent conversationnel avec eux et selon leurs besoins.
Un soutien à portée de clic
Et le résultat, désormais accessible à tous en ligne, c’est donc Cogitoscope. Une interface de discussion numérique où l’utilisateur peut poser directement ses questions sans avoir à créer un profil ou à rentrer de données. « L’objectif est de donner une information fiable et validée, issue d’un contenu médical et scientifique, mais vulgarisée et tournée de façon empathique grâce au bot », explique le Dre Havé.
Donner de l’information permet déjà de rassurer une bonne partie des patients et peut contribuer à améliorer leur qualité de vie. Sur ce sujet qui est encore peu abordé en oncologie, l’objectif de cet assistant numérique est donc de pouvoir offrir aux patients un endroit où ils peuvent poser leurs questions, obtenir une réponse et qui est accessible quand ils en ont envie et besoin. « Parce que parfois les angoisses peuvent arriver à 2 heures du matin. » L’outil s’adresse aussi à l’entourage, aux aidants, qui ne sont pas forcément conscients du retentissement de ces troubles cognitifs.
C’est donc la première étape pour Cogitoscope. L’objectif est désormais de le faire évoluer selon les retours des utilisateurs. Dans un second temps, l’idée serait de pouvoir aussi orienter les patients vers le soin, la solution la plus adaptée, qu’il sache où s’adresser. « On peut aussi imaginer à terme de donner la possibilité au patient de s’évaluer grâce à l’outil », ajoute le Dre Havé.
L’appel à projets PAIR
Cogitoscope a reçu un financement dans le cadre de l’appel à projets PAIR (Parcours de soins, hAndicap, Innovation, paRtenariat patient). Lancé en 2021, le projet PAIR répond au constat que les personnes en situation de handicap rencontrent des difficultés dans leur accès aux soins hospitaliers. Il a pour but de faire émerger des solutions innovantes et participatives pour améliorer leur parcours de soins. En trois éditions réalisées, neuf projets lauréats ont été accompagnés.
Il s’inscrit dans un partenariat entre les HCL et la Métropole, officialisé en 2022, visant à promouvoir une approche globale de la santé, de la prévention aux soins, à faire du territoire un moteur d’innovation en santé et à favoriser l'accès à la santé pour tous et réduire les inégalités territoriales.