Avec sa table de jardin sous le bras, Renée pousse la porte de l’immeuble rue de Belfort. Les appartements sont encore vides, dans les espaces communs le mobilier n’est pas encore installé, des techniciens sont là pour tester le fonctionnement des ascenseurs …
À deux semaines de l’ouverture, la Maison de la diversité est encore en chantier mais ce 9 octobre, jour de l’inauguration officielle, Renée et 14 autres cohabitantes et cohabitants auront bel et bien investi les lieux et leurs appartements.
Une population isolée
Au cœur de la Croix-Rousse, la Maison de la diversité est un habitat inclusif et participatif orienté autour de la solidarité et du bien vieillir entre personnes LGBTI+ et alliés. Porté par l’association Les Audacieuses et les Audacieux, le projet a pour objectif de lutter contre l’isolement social et permettre à chacune et chacun d’être soi à tout âge. Car en France, 28 % des 65-79 ans vivent seuls, une proportion qui monte à 49 % pour les plus de 80 ans.
Et l’isolement social des personnes âgées est renforcé dans certaines populations, souvent discriminées. En effet les seniors LGBTI+ représentent plus d’un million de personnes en France et parmi eux, 65 % vivent seuls et 90 % n’ont pas d’enfant. Le taux de suicide est également de deux à sept fois plus élevé que chez les seniors hétérosexuels. La rupture des liens familiaux, l’absence d’aidant naturel, le rejet de l'orientation sexuelle et/ou de l’identité de genre, sont autant de causes d’isolement social.
Vieillir heureux chez soi tout en créant du lien social c’est le parti pris de la Maison de la diversité. Projet dans lequel s’est presque tout de suite reconnue Renée, 70 ans, cohabitante de l’immeuble. Pour elle, c’est d’abord un lieu, un quartier. Habitante de la Croix-Rousse depuis 40 ans, elle passait depuis plusieurs années devant cette maison abandonnée en se disant : si un jour une place se libère je viendrai habiter ici. Renée est aussi attirée par le format de l’habitat participatif, « tout ce qui permet de garder le lien avec l’autre, le partage, le vivre ensemble ».
Mais sur ce projet en particulier, la nouvelle résidente est quelque peu réticente au départ. « Pour moi qui étais invisible toute ma vie, le fait que le projet soit marqué LGBTI+ c’était compliqué. Je me disais : on va savoir », confie-t-elle. Elle laisse donc traîner pendant deux ans avant de décider d’aller à une première réunion d’information « pour voir » en 2021 et finalement ne jamais quitter le projet.

Un projet de vie collectif
Car ce saut dans l’inconnu ne se fait pas en un jour. L’habitat participatif et inclusif ce n’est pas seulement poser ses valises. Les cohabitantes et cohabitants de la Maison de la diversité ont travaillé un véritable projet de vie. « La première étape est de faire germer l’idée qu’un projet de vie en habitat participatif peut être compatible avec votre projet de vie », explique Stéphane Sauvé, fondateur & délégué général de l’Association Les Audacieuses et les Audacieux. « Cela ne se décrète pas. Il faut découvrir ce qu’implique l’habitat participatif. La deuxième étape c’est de confronter la compatibilité de son projet de vie avec celui proposé par la Maison de la Diversité ».
Pendant deux ans, les cohabitants ont travaillé une charte : le projet de vie sociale et partagée, pour se mettre d’accord sur les valeurs communes, les engagements liés à la vie collective, les tâches de chacun mais aussi prévoir les activités proposées, les départs de la maison, les situations de perte d’autonomie ou de fin de vie etc.
« Dans la charte ils se sont autorisés à penser un mode de vie idéalisé et aujourd’hui ils vont le confronter à la réalité », explique Stéphane Sauvé. « Dans un projet d’habitat participatif il y a le chez moi et le chez nous, et le chez nous engage. Le collectif est ressource pour l’individu et inversement ».
Mieux se connaître pour accepter l’autre
Cette partie de travail sur le projet, à faire communauté, permet aussi aux futurs cohabitants de se découvrir. « Ce n’est pas une bande de potes, c’est une rencontre de plusieurs individus. Dans un immeuble lambda je rentre chez moi, je ferme ma porte et basta. Ici je loue des mètres carrés, mais je loue aussi du lien social et de la solidarité. Il faut s’apprivoiser. »
Un processus nécessaire qui permet de connaître les autres mais aussi d’en découvrir plus sur soi-même. « Ça m’a fait faire un travail personnel important, de sortir de ma zone de confort, souligne Renée. Aujourd’hui j’arrive plus rapidement à lire les autres et à réagir en fonction ».
Des groupes de parole, animés par une psychologue ont notamment été mis en place pour que les cohabitants puissent s’autoriser à dire les choses et Baptiste, le responsable de maison a été formé à la communication non violente. « L’idée est de se donner les outils pour faire et vivre ensemble », explique Stéphane Sauvé.

Un lieu ouvert sur l’extérieur
Ce 9 octobre, ce sont donc quinze individualités mais qui font groupe, qui ont emménagé rue de Belfort dans quinze appartements, des T1 ou T2. Quatorze logements sont réservés à des personnes de plus de 55 ans et un appartement à un jeune, pour créer aussi du lien intergénérationnel. Au sein de l’immeuble plusieurs espaces sont partagés : le boudoir, une cuisine (même si chacun possède aussi sa cuisine individuelle), un garage vélo, le jardin, une buanderie ou encore une chambre d’amis pour que chacun puisse accueillir des personnes extérieures.
Même dans la conception des espaces, l’immeuble a été pensé avec cette idée de vie partagée en tête. Ainsi les appartements sont desservis par des coursives, on passe devant chez les autres en rentrant chez soi ce qui peut générer des interactions.
Et ce lien social n’a pas vocation à se limiter aux quinze cohabitantes et cohabitants, bien au contraire. La Maison de la diversité se veut ouverte sur l’extérieur et a pour ambition d’être un lieu ressource pour le quartier. Le projet bénéficie notamment de financement pour l’aide à la vie partagée (AVP) hors les murs. « Parce que l’impact social du projet ne doit pas se limiter à ses quinze cohabitants », souligne Stéphane Sauvé.