« Allez, on va commencer, merci de respecter votre tour de parole et d’écouter tout le monde. Il y a beaucoup de sujets à l’ordre du jour », interpelle Thierno en sa qualité de président de la Coopérative. Il est près de 15h ce mardi après-midi du mois d’août, quatorze jeunes de Saint-Fons s’assoient autour d’une table de la maison des associations. Les téléphones ont été posés au milieu, pas question d’y déroger.
Voix posée, Thierno pilote le conseil d’administration hebdomadaire de cette Coopérative jeunesse de services (CJS) qui s’est montée en début d’été. Issus des quartiers prioritaires de la ville, ces jeunes âgés de 16 à 18 ans ne se connaissaient pas avant de débuter cette initiative collective. Malgré leur jeune âge et leurs parcours différents, ils se sont entendus pour créer leur propre entreprise de services le temps d’un été. « Passer deux mois d’été avec des gens que tu ne connais pas pour travailler, ce n’est pas évident », assure Athmane.
« Pouvoir partagé »
Comme chaque semaine, le groupe fait le point sur la semaine écoulée et aborde ce qui sera fait dans la semaine à venir. Les sujets sont variés mais tout aussi concrets que dans une vraie entreprise : problématique RH (retards, rémunération, …), sujets administratifs et financiers (devis, facturation) ou encore commercial (démarchage de nouveaux clients, développement de l’offre de services). Le conseil d’administration débute par un appel à plus de rigueur dans le classement et le rangement des papiers. « Il faut faire plus attention sinon on va s’y perdre », lâche l’un d’eux.
Face au président qui égraine l’ordre du jour, les sujets se multiplient. Ils proviennent des trois comités dans lesquels sont répartis les quatorze jeunes de cette CJS : l’un est dédié aux finances, l’autre aux RH et le dernier au marketing. Ces trois entités font remonter les sujets qui seront abordés en conseil d’administration chaque semaine. Une organisation qui roule où « le pouvoir est partagé entre tous ».
Aux côtés de Thierno, Athmane, Adam ou Aboubakar, il y aussi Jaco, Houria, Loïc ou encore Alliance. La parité est presque respectée dans cette coopérative où les filles tiennent parfois tête aux garçons lors des échanges. Les joutes verbales existent mais laissent place aux avis de chacun. La majorité prime et les jeunes décident par eux-mêmes.
Remise en question
Ce jour-là, ils s’interrogent sur le rôle du messager, chargé d’assurer le suivi entre les chantiers en cours et les équipes qui tournent sur plusieurs missions. Le débat s’agite, un premier vote acte la fin de ce rôle clé. Certains pointent le risque de perdre des informations importantes pour les clients, quand d’autres expliquent que c’est à chacun d’aller chercher les informations par eux-mêmes. Un deuxième vote s’invite et infirme le premier résultat. Les messagers seront conservés, pour l’instant… En une dizaine de minutes, certains avis tranchés ont été balayés par d’autres avec pour résultat de faire avancer la réflexion du collectif. Une mise en situation concrète qui illustre d’ailleurs la capacité de remise en question du collectif.
Comme cette fois, où leur offre de carwash peine à trouver des clients. Certains pointent les prix élevés ou l’aspect trop professionnel du tract édité par les jeunes. « On a un problème de positionnement. Il ne faut pas oublier qu’on n’est pas des pros », note l’un d'eux. Un autre propose d’afficher qui ils sont sur le tract. La proposition n'emporte pas l'adhésion du groupe mais la réflexion sur le positionnement pousse les jeunes à s’interroger sur la ligne à suivre. Au final, leur offre de carwash trouvera son public auprès des habitants, après avoir su réadapter leur organisation : mise en place d'un système de réservation, élargissement des horaires et prospection intensive.
Du concret et des difficultés
L’objectif de ces CJS est de proposer à des jeunes de quartiers prioritaires une immersion dans le monde du travail à travers la création d’une entreprise éphémère. Et l’initiative recèle bien du concret pour les jeunes. Ils doivent dans un temps très contraint développer une offre de services et de prestations à adresser à leurs clients : collectivités, entreprises et particuliers. La CJS de Saint-Fons par exemple propose cet été des missions de piquetage (nettoyage des rues), de peinture, de création d'événements mais aussi de création de sites web ou de carwash.
Une offre montée en fonction des appétences et des compétences de chacun. Mais au-delà des envies, le terrain rattrape aussi ces jeunes, qui pour la plupart découvrent le monde de l’entreprise. « Nous sommes allés contacter différents types d’acteurs mais on se heurte à la réalité, on s’est pris des portes, c’était dur. », avance Athmane. « On a été pris de haut par certains, il y a parfois eu de l’irrespect et un manque de considération », soutient de son côté Thierno. Mais dans l’ensemble, les jeunes ont su trouver leur place et parvenir à commercialiser leur offre en particulier auprès d’une cible professionnelle. « Les particuliers sont plus difficiles à convaincre puisqu’ils ont dû mal à nous prendre au sérieux », ajoute-t-il.
Début août, 11 000 euros de chiffre d’affaires avaient été déjà réalisés par cette CJS. « On s’était fixé 25 000 euros de CA sur les deux mois, c’est ambitieux mais j’espère qu’on va y arriver », note Thierno.
Rénovation d’un collège
Heureusement, les CJS peuvent compter sur des partenaires institutionnels qui soutiennent l’initiative. Le bailleur Lyon Métropole Habitat a confié une partie de l’animation d’une fête de ses résidences le 8 août dernier à la coopérative. La Métropole de Lyon, elle, a par exemple proposé aux trois CJS de cette année (Lyon 8, Saint-Fons et Vénissieux) la rénovation du collège Jules-Michelet de Vénissieux. Un chantier collectif qui se tient pour la troisième année de suite et pour lequel les jeunes des CJS facturent à la collectivité la remise en peinture des salles de classe et des couloirs de l’établissement.
Cette démarche est aussi encadrée par des éducateurs. Pour Saint-Fons, c’est Agnès et Moussa qui accompagnent les jeunes. Sans leur dire ce qu’ils doivent faire, ils les aiguillent et les encouragent dans leurs prises de décision. Une formation accélérée qui apporte aussi à ces jeunes un premier regard sur le monde du travail. « On a eu l’opportunité de visiter des PME du territoire, on découvre et on apprend les fondamentaux du monde professionnel », avance l'une des participantes.
À l’issue de ces deux mois intensifs, les jeunes sont ravis de l’expérience et de ce premier pas concret dans le monde de l’entreprise.
Les Coopératives jeunesse de services, c'est quoi ?
Découvrir l'entrepreneuriat collectif le temps d'un été. Tel est l'objectif des Coopératives jeunesse de services (CJS), des entreprises éphémères créées et pilotées par des jeunes âgés de 16 à 18 ans. Accompagnés par deux animateurs et après un temps de formation dispensé par Escale Création, les jeunes volontaires s'initient au fonctionnement d'une entreprise, développe leur esprit d'initiative.
Cette activité est proposée dans le cadre de Métropole quartiers d’été, un programme d'activités proposé par la Métropole de Lyon dans les quartiers prioritaires (QPV et QPM) de la politique de la ville.